YESTERDAY'S NEWS |48
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will you stay down on your knees
YAHAM
« It is said that no one truly knows a nation until one has been inside its jails. A nation should not be judged by how it treats its highest citizens, but its lowest ones. »
Un hurlement m’arrache à mon sommeil. Il ne doit pas être très tard, j’ai perdu la notion du temps depuis que je suis derrière les barreaux, prisonnier d’une cellule composée en grande partie de béton. Pas la moindre fenêtre pour apporter un peu de gaieté à ces journées, c’est tout juste si j’ai l’occasion de percevoir la lumière du jour quotidiennement. Il me faut sortir dans la grande cour où tous les taulards évoluent, s’entrainent, jouent au basket, profitent du beau temps lorsqu’il est avec nous. C’est aussi ici que les plus grosses magouilles prennent place. Je ne me sens pas vraiment à l’aise lorsque je sors, beaucoup trop exposé aux autres. La dernière fois que je suis sorti, j’ai eu l’affreuse impression d’être l’un de ces morceaux de viande que tout le monde observe. Les carnivores sont là, ils observent, échangent… Ils ne feront rien avec autant de témoins. Non, ils sont plutôt du genre à apprécier agir dans l’ombre. Surprendre, diviser pour mieux régner. Il ne devrait pas être très difficile de prendre l’avantage sur moi cela dit. J’ai refusé la proposition d’un codétenu qui offrait de me prendre sous son aile contre quelques services. La légalité ça ne m’intéresse pas. Paradoxal ? Je suis peut-être condamné à passer les dix prochaines années en taule mais ce n’est pas pour autant que je souhaite aggraver mon cas. Je laisse cela à ces prisonniers qui n’ont plus grand-chose à perdre. Entre ces murs, tout est question de relations. Sans la protection d’un gang, tu n’es rien. Je n’aurais d’ailleurs jamais pensé accorder autant d’importance à la couleur de peau. N’imagine même pas aborder les mexicains lorsqu’ils sont les uns avec les autres, ces mecs-là savent te faire ressentir que tu n’as pas ta place auprès d’eux. Je suis seul, désespérément seul et je sais que tôt ou tard, j’aurais besoin d’utiliser la force pour m’en sortir.
Les minutes s’écoulent lentement, j’essaie de retrouver le sommeil mais tous ces animaux continuent de s’exciter. Un véritable zoo humain, un endroit témoin de la décadence sous sa forme la plus primaire. L’Homme descend du singe, un simple retour à l’état sauvage saura le ramener à cette première condition. Des primates, nous ne sommes que des primates en prison. L’heure tourne et je me décide à émerger, j’observe les détenus qui vont et viennent. A cette heure-là tout le monde opte pour un passage aux sanitaires. Certains évitent l’épreuve de la douche, beaucoup trop connotée en cas de revanche à prendre sur un autre taulard. J’ai pris l’habitude d’attendre que la plupart de mes camarades soient revenus pour aller prendre ma douche. Pas vraiment par peur parce qu’il faudrait au contraire opter pour des moments où un maximum de personnes se trouvent là-bas, le nombre fait grandement grimper le pourcentage de sécurité pour un prisonnier… Non, plutôt parce que me balader à poil comme si j’étais tout seul alors que les yeux de certains porcs se baladent sur moi sans en louper une miette ce n’est clairement pas ce qui me met à l’aise. Alors oui, nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle, des rideaux de douche ont été installés pour séparer les cabines d’infortune, difficile de se sentir moins en sécurité qu’à ce moment-là de la journée.
Il me faut quelques minutes avant de me décider à retirer mes vêtements les uns après les autres, cinq minutes supplémentaires et une grande impulsion pour oser me séparer de mon caleçon afin de passer sous le jet d’eau. La température n’est pas spécialement adaptée, l’eau est glacée. Pas de quoi m’inquiéter, j’ai au moins la satisfaction de me confronter à un constat indéniable : Tu es vivant, Graham, et tu ne rêves pas ! Comment rêver d’un tel endroit ? Je n’aurais jamais imaginé vivre dans de telles conditions, même pas dans mes plus effroyables cauchemars. A choisir, je crois que je préfèrerais largement me faire dévorer par des morts-vivants, la douleur serait peut-être plus vive mais elle prendrait au moins fin rapidement. A la place, j’ai tout juste le temps d’entendre le rideau se déplacer que quelqu’un me porte un coup à la tête. Dans un réflexe sorti de nulle part, emblème d’une certaine lâcheté, je me laisse tomber sur les genoux, recroquevillé sur moi-même tandis que quelqu’un s’acharne à marteler mon torse de coups. Il me faudra deux ou trois minutes, les cris hystériques de plusieurs dizaines de détenus et une perte de conscience pour qu’un gardien se décide à intervenir. Félicitations Graham, tu quittes la jungle… Pour un temps. Bienvenue à l’infirmerie.
Autour de moi, tout le monde semble avancer au ralentis. Faible illustration de mon état actuel. Je regagne conscience avec les minutes mais l’une de mes oreilles continue de siffler. J’ignore avec quoi j’ai été frappé tout à l’heure, toujours est-il qu’un seul coup aura suffi à me sécher complètement. Je ne suis pas habitué à autant de violence, j’ai appris à toujours accepter de recevoir les coups de mon paternel pour ne pas l’énerver davantage. Fracture après fracture, j’ai appris à ne jamais me retourner sur mon maitre. Réduit à l’état d’animal, un chien aurait probablement mis moins de temps à se retourner et à se défendre. J’ai peut-être mis le temps, quelques années, mais lorsque je me suis retourné et défendu, le sang a coulé à flot. Ces images ne quitteront jamais mon esprit, tout comme la réaction de ma mère lorsqu’elle est m’a adressé un ultime regard avant d’officialiser son abandon l’autre jour au parloir… Tout comme les pleurs de ma petite sœur lorsque les officiers se sont décidés à m’évacuer des lieux du crime, menottes aux poignets.
Je relève la tête et constate qu’il y a déjà une amélioration notable, je n’ai plus le moindre étourdissement. Un bon début. J’analyse rapidement les lieux et remarque immédiatement que l’infirmerie tourne en sous-régime. Probablement la faute à un budget beaucoup trop serré pour permettre d’embaucher du personnel. Difficile de ne pas comprendre que la priorité est ailleurs… Que peut-on bien en avoir à foutre de connards qui ont mis la sécurité d’autrui en danger ? J’évolue autour de violeurs, d’assassins, de mafieux… Les résidus de fond de capote ne cessent de s’entrechoquer ici. J’imagine que le confort passe en dernier, à juste titre. « Qu'est-ce que t'as, toi ?! » Il me faut plusieurs minutes pour comprendre que son regard est planté sur moi. Je ne tarde d’ailleurs pas à éviter son regard, soucieux de ne pas m’attirer des ennuis en énervant l’un des membres du gang des latinos. Il doit forcément être dans un gang… Ouais, parce que même amoché, il continue de répondre, de provoquer, il a beaucoup trop confiance en lui pour évoluer tout seul au milieu de cet océan de requins. « Rien rien… J’étais perdu dans mes pensées, je ne te regardais pas vraiment. » L’infirmier se décide enfin à venir me voir, point de sourire, pas le moindre mot gentil. Il a probablement été abimé par toutes ses années à travailler ici, difficile d’envisager un autre comportement, une autre attitude. « Ce n’est pas à mon tour, il est arrivé avant moi. » Graham, profondément humain, comme toujours. Pas suffisamment abimé pour y renoncer… Pas encore. « Qu’est-ce qui t’es arrivé ? » Je ne devrais peut-être pas poser la question mais la solitude me pèse, j’ai besoin de parler, d’aider l’humain en moi à se maintenir en vie.
@S. Yaël Wiedermann (désolé pour le temps de réponse, j'ai mis plus de temps que prévu. )
Les minutes s’écoulent lentement, j’essaie de retrouver le sommeil mais tous ces animaux continuent de s’exciter. Un véritable zoo humain, un endroit témoin de la décadence sous sa forme la plus primaire. L’Homme descend du singe, un simple retour à l’état sauvage saura le ramener à cette première condition. Des primates, nous ne sommes que des primates en prison. L’heure tourne et je me décide à émerger, j’observe les détenus qui vont et viennent. A cette heure-là tout le monde opte pour un passage aux sanitaires. Certains évitent l’épreuve de la douche, beaucoup trop connotée en cas de revanche à prendre sur un autre taulard. J’ai pris l’habitude d’attendre que la plupart de mes camarades soient revenus pour aller prendre ma douche. Pas vraiment par peur parce qu’il faudrait au contraire opter pour des moments où un maximum de personnes se trouvent là-bas, le nombre fait grandement grimper le pourcentage de sécurité pour un prisonnier… Non, plutôt parce que me balader à poil comme si j’étais tout seul alors que les yeux de certains porcs se baladent sur moi sans en louper une miette ce n’est clairement pas ce qui me met à l’aise. Alors oui, nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle, des rideaux de douche ont été installés pour séparer les cabines d’infortune, difficile de se sentir moins en sécurité qu’à ce moment-là de la journée.
Il me faut quelques minutes avant de me décider à retirer mes vêtements les uns après les autres, cinq minutes supplémentaires et une grande impulsion pour oser me séparer de mon caleçon afin de passer sous le jet d’eau. La température n’est pas spécialement adaptée, l’eau est glacée. Pas de quoi m’inquiéter, j’ai au moins la satisfaction de me confronter à un constat indéniable : Tu es vivant, Graham, et tu ne rêves pas ! Comment rêver d’un tel endroit ? Je n’aurais jamais imaginé vivre dans de telles conditions, même pas dans mes plus effroyables cauchemars. A choisir, je crois que je préfèrerais largement me faire dévorer par des morts-vivants, la douleur serait peut-être plus vive mais elle prendrait au moins fin rapidement. A la place, j’ai tout juste le temps d’entendre le rideau se déplacer que quelqu’un me porte un coup à la tête. Dans un réflexe sorti de nulle part, emblème d’une certaine lâcheté, je me laisse tomber sur les genoux, recroquevillé sur moi-même tandis que quelqu’un s’acharne à marteler mon torse de coups. Il me faudra deux ou trois minutes, les cris hystériques de plusieurs dizaines de détenus et une perte de conscience pour qu’un gardien se décide à intervenir. Félicitations Graham, tu quittes la jungle… Pour un temps. Bienvenue à l’infirmerie.
Autour de moi, tout le monde semble avancer au ralentis. Faible illustration de mon état actuel. Je regagne conscience avec les minutes mais l’une de mes oreilles continue de siffler. J’ignore avec quoi j’ai été frappé tout à l’heure, toujours est-il qu’un seul coup aura suffi à me sécher complètement. Je ne suis pas habitué à autant de violence, j’ai appris à toujours accepter de recevoir les coups de mon paternel pour ne pas l’énerver davantage. Fracture après fracture, j’ai appris à ne jamais me retourner sur mon maitre. Réduit à l’état d’animal, un chien aurait probablement mis moins de temps à se retourner et à se défendre. J’ai peut-être mis le temps, quelques années, mais lorsque je me suis retourné et défendu, le sang a coulé à flot. Ces images ne quitteront jamais mon esprit, tout comme la réaction de ma mère lorsqu’elle est m’a adressé un ultime regard avant d’officialiser son abandon l’autre jour au parloir… Tout comme les pleurs de ma petite sœur lorsque les officiers se sont décidés à m’évacuer des lieux du crime, menottes aux poignets.
Je relève la tête et constate qu’il y a déjà une amélioration notable, je n’ai plus le moindre étourdissement. Un bon début. J’analyse rapidement les lieux et remarque immédiatement que l’infirmerie tourne en sous-régime. Probablement la faute à un budget beaucoup trop serré pour permettre d’embaucher du personnel. Difficile de ne pas comprendre que la priorité est ailleurs… Que peut-on bien en avoir à foutre de connards qui ont mis la sécurité d’autrui en danger ? J’évolue autour de violeurs, d’assassins, de mafieux… Les résidus de fond de capote ne cessent de s’entrechoquer ici. J’imagine que le confort passe en dernier, à juste titre. « Qu'est-ce que t'as, toi ?! » Il me faut plusieurs minutes pour comprendre que son regard est planté sur moi. Je ne tarde d’ailleurs pas à éviter son regard, soucieux de ne pas m’attirer des ennuis en énervant l’un des membres du gang des latinos. Il doit forcément être dans un gang… Ouais, parce que même amoché, il continue de répondre, de provoquer, il a beaucoup trop confiance en lui pour évoluer tout seul au milieu de cet océan de requins. « Rien rien… J’étais perdu dans mes pensées, je ne te regardais pas vraiment. » L’infirmier se décide enfin à venir me voir, point de sourire, pas le moindre mot gentil. Il a probablement été abimé par toutes ses années à travailler ici, difficile d’envisager un autre comportement, une autre attitude. « Ce n’est pas à mon tour, il est arrivé avant moi. » Graham, profondément humain, comme toujours. Pas suffisamment abimé pour y renoncer… Pas encore. « Qu’est-ce qui t’es arrivé ? » Je ne devrais peut-être pas poser la question mais la solitude me pèse, j’ai besoin de parler, d’aider l’humain en moi à se maintenir en vie.
@S. Yaël Wiedermann (désolé pour le temps de réponse, j'ai mis plus de temps que prévu. )
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