Je ne suis pas un héros. Je ne l'ai jamais été et je ne le serais jamais. C'est la dernière chose qu'il m'a dite avant de s'en aller, Graham. Il était le meilleur de l'unité, une vraie machine de guerre. O'Malee en était tellement fier. À vrai dire, il ne l'aurait jamais admis mais, on le savait tous, il le voyait comme un fils. Celui qu'il n'a jamais eu. Sur les années ils sont devenu très proches, on est tous devenu proches mais eux plus que les autres. Cette unité c'était, comme une famille pour nous, alors qu'on était loin des nôtres. Ouais, c'était notre seconde famille. Graham il est entré très tôt dans l'armée, il n'avait pu de famille, il nous a jamais dit pourquoi. Il a toujours été très fermé et secret sur sa vie privée. Je me rappel à son arrivée, il avait tout d'une bête sauvage. C'était un petit con arrogant avec un très gros problème avec l'autorité. J'étais persuadé qu'il allait se faire virer, qu'il ne ferait pas un mois et pourtant... O'Malee, il a cru en lui. Il a su lui parler, le dresser et je crois bien que tout est parti de là. Ouais il avait facile, quoi... 18 ans quand il est arrivé. C'était encore un gamin. Et il n'est jamais reparti. Ah il en a bouffé croyez moi... Ce gamin en avait dans le froc parce qu'il en a chié bien plus que la plupart mais il n'a jamais rien lâché. C'est pour ça qu'il est devenu l'un des meilleurs. Le meilleur de notre unité. On en a vu des missions, un peu partout, plus ou moins dangereuses mais, on s'en est toujours sorti indemnes. Fallait dire ce qui est, on était efficace et donc très demandés. O'Malee n'est pas multi décoré pour rien après tout. On avait un meneur en or massif et une équipe en béton, rien ne pouvait nous arrêter... Jusqu'à ce que ça commence. 2003... La guerre en Irak. C'est là que tout est parti en couilles. Ah il était beau Bush, avec ses grands discours. Il nous a bien vendu son rêve à la con. Mais sur place... C'était une boucherie. J'ai jamais vu autant d'horreur que là bas... Bordel on en a fait des choses! Des bonnes, comme des mauvaises. Oui on a sauvé des vies mais... On en a pris aussi beaucoup, énormément, bien trop. Sur la fin, je me souviens même m'être demandé pourquoi on était là, pour quelle cause? Tss pour le pétrole et rien d'autre, quoi qu'ils vous ont dit, c'est des conneries. L'argent, il n'y a que ça qui compte. Et il y a eu cette mission... On devait rentrer au pays, j'me souviens avoir vu O'Malee sur Skype avec sa fille ce jour là, juste avant qu'on parte. On était serein, déterminé, ça sonnait comme une tournée de routine sauf que... Tout a dérapé. Il y a eu cette bonne femme enceinte, avec son gamin de 6 ans juste à côté. J'ai hésité une seconde, une seule et c'était trop tard. Elle s'est faite explosée, le blindé a pris, un morceau d'immeuble s'est effondré et il y a tous ces fils de putes qui ont débarqués d'on ne sait où... Tout a été trop vite, on a pas eu le temps de comprendre ce qu'il se passait qu'on a perdu Hansen puis Grant. J'ai cru qu'on allait tous y rester. Et cet enfoiré est sorti de nul part pour tirer sur moi, Graham l'a plombé à temps mais, il a pas regardé derrière... Il y en avait deux autres. Il s'est pris une balle dans l'épaule mais O'Malee nous a sauvé. Foutu héros, a se pointer toujours quand il faut. Et cette pute l'a planté. Elle était là, planquée, elle a fait la victime et on y a cru. Graham n'a pas réagit et moi non plus... On a juste, pas compris ce qu'il s'est passé. C'était le chaos total là bas. Graham lui a collé une balle entre les deux yeux et a récupéré le boss mais... Le temps qu'on le sorte de là, qu'on vienne nous chercher... Il était trop tard. Il a rendu l'âme sur le retour, on a rien pu faire. Putain que cette nuit a été longue, interminable. Et sans Graham..? On serait tous morts. C'est grâce à lui si on a tenu jusqu'au bout. Moi ça m'a paru une éternité et au petit matin, quand le soleil s'est levé... On arrivait à la base avec trois gars en moins, dont notre pilier, O'Malee. Le pire dans tout ça? Tout est passé à la trappe, dit "incident isolé". Je sais pas ce qu'était cette mission en vérité mais... Sûrement quelque chose de pas joli car ils ont tout fait pour étouffer l'incident, faisant passer ça pour une attaque de la base alors qu'il n'en était rien. Graham était fou de rage... Qu'on enterre ce qu'il s'est passé comme ça. Lui, il savait ce qu'il en était vraiment mais encore une fois, il n'a jamais voulu nous le dire "pour notre bien". Moi... J'ai eu du mal à m'en remettre mais Graham lui? Je crois qu'il ne s'en est jamais remis. Il avait ce regard... Celui d'un mec au fond du trou, brisé, vide. La perte de O'Malee a été trop lourde à porter pour lui et il nous a quitté. Il est rentré au pays avec le corps et... On ne l'a plus jamais revu. Je crois qu'on a fini par s'engager sur une voie de non retour, celle où on ne combat pu seulement pour notre pays mais... Pour autre chose. Graham lui, ne voulait plus.


   Il n'est pas un héros, seulement mon sauveur. Anton est venu me chercher dans les ténèbres, il m'en a sorti alors que je pensais tout espoir révolu et a donné un nouveau souffle à ma vie. Je me souviens à peine de ma mère... Juste son épaisse crinière blonde et ses yeux bleus. Le reste me semble si flou à présent, sans doute parce que j'ai préféré l'enterrer avec le reste, dans le passé. J'ai été enlevée quand j'étais enfant ou plutôt vendu pour arrêter de jouer la carte du déni car oui, le marché d'être humain existe bel et bien et quand on vient d'un pays comme le miens, d'une famille pauvre comme la mienne, et qu'on a un vagin et une paire de seins comme moi, on a une chance sur trois de finir dans un camion direction je ne sais où. Faut dire que j'ai été trimbaler dans pas mal d'endroits mais j'étais encore jeune alors ça va, on ne me touchait pas à cette époque. Je faisais le ménage, apportait ce qu'on me demandait comme un gentil petit chien et basta. Puis j'ai eu 13 ans et là j'ai commencé à les intéresser. On a vendu ma virginité comme on vendrait un putain de plat à emporté. Déjà que ma vie était pas bien jolie, là c'est devenu l'enfer sur terre et ça a duré jusqu'à mes 16 ans... Jusqu'à ce qu'il arrive, Anton. Il n'était pas là pour moi à la base, il devait faire affaire avec ces types là, j'en sais trop rien, j'étais juste... Là. C'est peut-être moi mais, quand je l'ai regardé... Il s'est passé quelque chose. C'est comme ci il avait vu ma détresse dans mon regard. Moi qui étais tétanisée par la peur à ce moment là, un collier au cou comme une putain de chienne. Il m'a regardé puis il lui a demandé ce que je faisais là, ce que j'étais. Ce fils de pute de Ivan riait en parlant de moi comme une simple marchandise! Il disait même que si Anton voulait tirer un coup, il suffisait de sortir un billet, qu'il lui ferait un prix d'ami car il lui rendait service. À chaque fois que je l'entendais parler comme ça, j'avais envie de vomir autant que de lui trancher la gorge et de lui boire son putain de sang. Sale enfoiré de merde! Je le haïssais tellement. Anton... Il s'est contenté de refuser et il est parti. Ce que j'ai cru voir en lui a disparu en une fraction de seconde, lorsqu'il a fermé cette porte. L'espoir s'est éteint à nouveau, jusqu'à la nuit tombée. J'étais dans ma cage et j'ai entendu des coups de feu. Ça devenait plus fort, ça tirait dans tous les coins et là il est arrivé... Face à moi, du sang sur le visage. Anton. Et il m'a libéré. Mais on est pas parti tout de suite. Non, avant il m'a emmené dans son bureau, celui d'Ivan. Il était là, attaché sur sa chaise, à couiner comme porc. Je ne l'ai jamais vu si terrifié. J'ai regardé Anton et il m'a tendu une arme et j'ai compris. Je l'ai saisi et même si ma main tremblait au début, ma rage a pris le dessus et j'ai tiré. Ivan est mort et... Ma peur a disparue. Anton m'a regardé sans bouger, lui il a compris. Et je me suis effondrée en larmes. Le poids de toutes ces années, enfin envolé. Là, Anton m'a pris dans ses bras et il m'a emmené. Et je ne l'ai plus jamais quitté depuis...